Article « Portraits de créateurs »

Monique Manoha // Chargée de mission – Pôle Bijou chez Pôle Bijou – Communauté de Communes du Territoire de Lunéville à Baccarat // Article publié le 7 avril 2020

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Poursuivons nos portraits des créateurs que vous auriez du rencontrer les 4 et 5 avril au Château de Lunéville dans le cadre de Réminiscence – Journées Européennes des Métiers d’art avec Anne-Catherine Fenzy qui devait s’installer au cœur de la médiathèque de l’Orangerie !

Enfant, elle rêvait de théâtre et d’aventure, mais comme ce n’était pas des carrières sérieuses pour cette « bonne élève » et poussée par les découvertes faites dans les voyages familiaux (Karnak et sites antiques d’Egypte, Italie, Grèce ou encore Turquie) elle s’est tournée vers l’architecture dans la perspective de rejoindre des équipes de fouilles archéologiques… gardant ainsi un petit goût d’une vie à l’Indiana Jones.

Pourtant, rapidement après le début de ses études d’architecture elle a changé de rêve, préférant se tourner vers l’avenir et ses contemporains ; elle se réjouissait de la richesse de l’enseignement auquel elle accédait, de la pluridisciplinarité de mise, et de la découverte de l’art contemporain et de la vie culturelle que sa ville d’études, Paris, lui offrait. Elle a commencé à travailler en agences durant ses études, a poursuivi par un post-diplôme « Théorie de l’architecture » tout en travaillant, offrant ses services à des petites structures pour des postes très diversifiés (de projeteur de concours à responsable de suivi de chantier). Une évidence naissait : elle n’était pas faite pour avoir sa propre agence … car peu attirée par la partie commerciale, les négociations et les rapports de force que cela impliquait. Alors, elle a exploré d’autres univers, dont ceux du livre pour enfants, de l’univers de la presse, l’édition, la recherche iconographique… où elle retrouvait le goût de la fraîcheur créative et la maîtrise du résultat à une échelle plus adaptée pour elle.

Revenue dans sa ville de naissance, Reims, en 2004, elle a poursuivi sur sa lancée en développant une activité de graphiste indépendante, et en conservant du temps pour reprendre le dessin, le modelage, l’écriture… dans un équilibre qui lui convenait. Et puis, est arrivé le moment où elle a voulu se lancer un nouveau défi professionnel. Le travail de la terre lui convenait, et permettait de la réconcilier avec toutes ses pratiques passées, alors elle s’est lancée. Ses certitudes : si elle avait du talent et une réelle singularité, elle pourrait y trouver sa place, mais aussi la céramique est un monde offrant de quoi chercher et s’exprimer pour de nombreuses années.

En même temps elle arrivait là avec un bagage technique fort, ayant suivie depuis toujours ou presque des ateliers de dessin, des cours de modelage de modèles vivants pour apprendre à voir et dessiner les corps, mais aussi des formations beaucoup plus techniques moulage, taille de pierre, céramique, engobe, émaux). Ne restait donc plus qu’à travailler et découvrir sa propre expression, structurer une démarche et aller à la rencontre des professionnels de l’art et des métiers d’art.

En 2015 elle a commencé la création régulière de pièces systématiques, de petites formes qui lui permettaient de se doter de principes de travail simples et de se constituer une grammaire formelle pour ensuite aborder tout sujet avec un langage spontané et personnel. Elle pouvait donc commencer à modeler librement, de façon directe ou abstraite, contemplative ou énigmatique, narrative ou signifiante. Le thème choisi devenant un prétexte pour une exploration formelle, de l’expression, des volumes, des motifs. Au fil du temps, sa technique a gagné en connaissance des matériaux et maîtrise de la chaîne de production, mais aussi connaissance de ses phases de création et de fabrication. Et elle n’hésite plus à revendiquer pour les artistes contemporains, le droit à la beauté, à la douceur, et à la poésie.

Son approche : poser un regard sur des situations que nous traversons aujourd’hui (elle dit : mutations et paradoxes, condition humaine) et imaginer comment en faire une sculpture… Entre intemporel et contemporain, et dialoguer avec l’imaginaire du public, chercher une « mise à distance poétique et engagée, pour répondre au monde actuel ». Produire avec peu, très simplement, mais aller vers l’essentiel. Et puis surtout, se mettre dans une situation inédite à chaque projet pour garder le désir de faire et la fraîcheur du propos…

Quand on lui demande comment se fait le lien entre la tête et le geste, elle répond : « En création, je mets en place simultanément le sens, l’image, et rapidement la fabrication. La démarche s’équilibre chemin faisant. En modelant, le dialogue entre l’œil et la main est toujours riche de surprises, il libère l’envie de créer et l’espoir d’aller à la rencontre d’autres imaginaires. Le lien entre la tête et le geste est de plus en plus fluide. L’alchimie opère dans le passage au modelage entre la mémoire, les mains et l’œil. Une fois que le point de vue est choisi, esquissé, qu’il a son hypothèse de représentation en sculpture, que les principes techniques ont été cernés, le modelage commence. Arrive un moment où les mains font seules, l’œil confirme et des images remontent pendant le travail, des instantanés, qui enrichissent à leur tour le geste et l’idée. »

Et à la question de comment se fait le passage entre sujet et forme : «Analyse du contexte, hypothèses, choix d’une idée… Le passage de l’idée à la sculpture est toujours une rencontre enthousiasmante avec la matière. C’est un échange, comme une conversation dont naît toujours de l’inattendu qui fait avancer. Je ne cherche pas à faire un dessin fini du projet, j’ai besoin d’interagir assez vite avec le volume. »

Ainsi pour Réminiscence, forte de ses principes, elle a créé un ensemble de 7 sculptures, Portrait de femme(s) s’inspirant de la vie d’Elisabeth-Charlotte d’Orléans, Duchesse de Lorraine. L’œuvre se déploie comme le portrait d’une femme multiple : femme-dentelle, femme-cadre, femme-vaisselle, femme-jardin, femme-correspondance et femme-fard, qui sont autant d’évocations d’un art de vivre à la cour du château de Lunéville au XVIIIe siècle. La silhouette dénudée représente la part intime de la Duchesse, femme de sang royal, unie par devoir, épouse trompée et mère de 14 enfants dont seuls 4 ont survécu… Mais cela nous renvoie nécessairement à un questionnement contemporain et intime sur la multiplicité de nos vies, de nos rôles, de nos statuts… Pas d’inquiétude pour la suite, elle a des cahiers remplis d’idées, souhaite poursuivre le travail des couleurs, explorer la représentation de personnages actuels, répondre à des projets inattendus, aimerait partager des expériences avec d’autres corps de métiers, rêve d’une période de résidence de céramique à l’étranger… même si comme tous les professionnels Métiers d’Art (et tout particulièrement en ce moment terrible de confinement) stabiliser la situation professionnelle (réseaux de diffusions, ventes…) est une problématique constante pour vivre de son travail. Cruelle dialectique que celle qui impose de « lâcher-prise » pour pouvoir créer, en l’absence de visibilité pour demain gagner sa vie ! »